Sylvie Turpin

Le processus est un aspect fondamental dans mon travail, à double titre :

  • d’une part il est, au sens strict du terme, ce qui se déploie et prend corps suite à une action sur la matière. C’est le temps propre à la technique, d’une technique au service de la forme qui est en train de se faire. Elle s’appuie sur l’histoire des peintures murales, particulièrement sur la fresque, à quoi s’ajoute une opération de mise en volume. Les matériaux, mortier frais et pigments purs, y figurent à l’état liquide; la couleur est appliquée par coulures ou au pinceau, comme pour un tableau, jusqu’à ce que le mortier la fige en un certain état : soit en une surface s’il est posé à plat, soit en un volume lorsque le mélange est versée dans un moule. Dans le premier cas les surfaces se superposent les unes sur les autres, et sont liées ensemble par une opération du type collage; elles laissent donc la possibilité d’un développement par combinaison et prolifération, comme si le processus qui les anime ne s’interrompait pas. Dans le second cas, la forme est donnée d’un coup, on pourrait dire de l’extérieur, puisque le moule va contraindre la forme à s’y loger.

Ces dernières années j’ai insisté sur l’extériorité ou les bords, ou les tranches, de l’objet produit au terme du processus : d’abord en peignant un monochrome sur le mur destiné à recevoir la forme, de telle sorte que celle-ci atteigne à une plus grande intégration dans l’espace; puis en peignant sur toile des formes, sur plusieurs couches légèrement décalées et de couleurs différentes, qui viennent répéter ou dupliquer la forme moulée, comme les ombres prismatiques de celle-ci. La lumière joue ainsi sur deux registres : de manière naturelle (l’ombre portée d’un corps donné) et de manière illusionniste (l’ombre « mimée » qui ne coïncide pas tout à fait avec l’ombre portée)

  • d’autre part, dans un second temps, le processus est ce que je considère dans le libre essor de ses propriétés, sa chimie et sa physique, et que je n’avais pu prévoir. Ce temps d’observation est essentiel car il induit une sorte de ligne de déviation qui, soit agrandit et étend mon geste, soit s’y oppose et le retient.

L’ oeuvre est l’intervalle mouvant entre ces deux pôles qui se côtoient, s’affrontent, s’allient, par frottements ou par chocs, et ainsi rendent indécises les frontières du sujet et de l’objet.

Mes dernières pièces, celles au mur peint ou celles s’appuyant sur une duplication en feuilleté de la forme exposent l’écart entre l’objet et le support préparé où il s’installe. Un peu comme si l’objet s’était accru d’une dimension supplémentaire, par un léger glissement intrusif, qui grignote progressivement une part de l’espace qui a-priori n’est pas de son ressort. Comme si l’oeuvre quittait petit à petit son lieu, spécifique et autonome, pour aller au devant du spectateur : un lieu médian appartenant à l’espace réel, mais entretenant avec sa matrice, l’oeuvre autonome située dans un lieu symbolique, des liens puissants et jamais abolis.

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